Une révolution économique chemine. L’élevage ovin avait induit le travail de la laine et celui de la teinture. Le pastel apparait dès le XIVe siècle et va engendrer dans le Lauragais un véritable âge d’or sous l’impulsion de ce que l’on peut considérer comme une forme de capitalisme multinational européen.
L’épopée pastellière connaît ses derniers fastes avant l’expansion protestante qui s’achèvera par une sévère répression et par une reprise en main catholique et monarchique.
Roger Maguer (2003) De la cocagne au blé
Le pays de Languedoc produit plusieurs autres choses qui lui sont particulières & que l’on ne peut trouver ailleurs desquelles ni les provinces voisines, ni les estrangers ne se peuvent passer, apportant au pays un profit incroyable. […] Entre celles-là le pastel peut tenir des premiers rangs. C’est une herbe que l’on sème & cultive particulièrement dans la Comté de Lauragais près de Toulouse qui est non seulement propre, mais aussi nécessaire pour la teinture des draps. […] Le trafic du pastel a été autrefois si utile & profitable à ce pays, que tous les plus riches marchands se sont rendus tels par ce trafic. […]
Mais aujourd’hui il s’en faut beaucoup qu’on n’en eu tant, à cause que les guerres civiles qui ont duré longtemps dans le Languedoc, même dans le Lauragais, ont comme dépeuplé tout le pays : tellement qu’on ne trouve plus les gens qu’il faudrait pour le cultiver. […]
Et d’ailleurs l’invention de l’indigo a ruiné entièrement le trafic du pastel ; d’autant que peu d’indigo mêlée avec le pastel fait : de grands effets en la teinture, & à bon marché ; mais cette teinture brule & gâte entièrement les draps. C’est pourquoi nos Rois en ont très sagement défendu l’usage, à cause, comme nous venons de dire, qu’elle brûle & gâte entièrement les draps ; mais pourtant les teinturiers qui aiment plus leur profit particulier, que le bien du public, ne laissent pas de s’en servir.
Le profit du pastel est tellement grand en Lauragais, qu’il arrive souvent que ce qu’un champ semé de pastel produit en une année fertile, vaut autant ou plus que le prix du champ où il est semé. Point que le pastel porte cette commodité, qu’il ne gâte point les terres où il est semé, pour ce qu’il faut apporter tant de soin à sarcler souvent les mauvaises herbes, que la terre en demeure mieux cultivée, tellement que l’année après l’on y sème du blé. D'ailleurs il n’empêche point les autres besognes, d’autant que la plus part de la culture du pastel, est faite par les femmes, & par ainsi les hommes ne se détournent pas de leur travail ordinaire. Le pastel ne vient pas seulement en Lauragais, mais aussi dans l’Albigeois, toutefois il s’en faut beaucoup qu’il ne soit si bon & profitable que celui de Lauragais.
Guillaume de Catel (1633) Mémoires de l’histoire du Languedoc
Première période : 1562 à 1589
Charles IX venait à peine de monter sur le trône, que le Midi était en feu. Toutes les villes voisines de Saint-Félix, comme Puylaurens, Sorèze, Revel, tombèrent dès 1561, entre les mains des protestants qui ne se faisaient pas faute de chasser les prêtres et de s’emparer des églises, pour les approprier à leur culte.
Histoire de Saint-Félix Les édits de pacification de pacification de 1562 et 1563 amenèrent un peu de calme dans le pays et les églises furent restituées aux catholiques. Mais, après l’entrevue de la reine-mère avec le duc d’Albe, les réformés, craignant de nouveaux desseins de la cour, prennent les devants, et Condé lève l’étendard de la révolte (1567). Dans notre pays, les villes de la Montagne-Noire retombent dans les mains des religionnaires, qui y excitent de nouveaux troubles. Revel, Puylaurens, Mazamet, Lavaur voient encore le culte catholique proscrit (octobre 1567). Au commencement de 1568, ils s’emparent même d’Auriac et de Caraman.
Mais les toulousains, toujours ardents à défendre la foi de leurs pères, lèvent une armée sous les ordres de Louis d’Amboise, comte d’Aubijoux, et viennent au secours des catholiques, qui purent reprendre Revel et Soual. Il fallut lever le siège de Puylaurens devant les secours, supérieurs en nombre, qui arrivèrent de Soual (Avril 1568).
La paix de Longjumeau, déjà signée depuis le 23 février, et, du reste, mal exécutée, comme les précédentes, à cause de l’état général de surexcitation des esprits, n’empêcha pas Condé et Coligny d’armer de nouveau contre la cour. Cette fois, c’était une guerre en règle, où ils perdirent successivement les batailles de Jarnac et de Moncontour (1569).
Ce fut après celle-ci que le roi de Navarre, le prince de Condé et Coligny se replièrent sur Montauban.
De là, en passant du côté de Toulouse, ils se dirigèrent vers le Lauragais et l’armée, pourvue de nombreuses pièces d’artillerie, campa entre Caraman, Auriac, Saint-Julia et Saint-Félix. Les trois premières villes furent prises d’assaut, et le Faget, qui était voisin, abandonné de ses défenseurs.
Seule, Saint-Félix eu la gloire de repousser les ennemis.
Un nouvel édit de pacification, signé le 11 août 1570, rappela les princes à la cour, mais les hostilités ne s’arrêtèrent guère pour cela dans la contrée. Sorèze, Dreuilh, Tréville furent à leur tour prises et reprises par les deux partis et la plaine ne cessait d’être ravagée.
L’épisode le plus important de ces luttes fut la prise de Sorèze, dont s’emparèrent, le 3 mars 1580, les catholiques de Saint-Félix, unis à ceux de Saint-Julia et de Castelnaudary. C’était une réponse aux hostilités que le vicomte de Turenne faisait recommencer dans le pays, au nom du roi de Navarre. Quatre-vingts religionnaires y furent tués et la ville se donna à Cornusson, sénéchal de Toulouse, venu pour déloger le vicomte de Turenne des environs. Celui-ci, qui avait fait de Revel son quartier-général, dut, après quelques essais infructueux, renoncer à reprendre Sorèze et quitta le pays. Mais, auparavant il avait pris le château du Faget et fait passer les habitants au fil de l’épée, et Toutens, Maurens, Mouzens, Cambiac et Beauville avaient dû se rendre à discrétion. Cornusson partit également.
Le fameux Thomas de Durfort, sieur de Deymes, en profita pour tenter la surprise de Sorèze.
En compagnie du capitaine Sabaut, il sortit de Revel, le 13 septembre de la même année, par une nuit très obscure et par un très fort vent d’autan. Une petite porte dérobée leur fut ouverte par trahison, et, entrés dans la ville, ils massacrèrent, à leur tour, 80 catholiques. Tantôt sur un point, tantôt sur un autre, ces brigandages recommençaient toujours.
Survint la Ligue. Opposée d’abord au roi Henri III, dont elle blâmait les concessions aux protestants, elle le reconnut ensuite pour chef.
Dans ce dernier cas, Saint-Félix était certainement avec les Ligueurs, contre le duc de Montmorency, allié alors avec les huguenots et dépossédé par le roi de son gouvernement. En effet, au mois d’octobre 1587, le frère du duc de Joyeuse, Antoine Scipion, grand prieur de Toulouse se trouvait à Saint-Félix, d’où il écrivit à son père pour l’informer de sa marche sur le château de la Gardiole. Pendant ce temps, Montmorency laissait ses troupes dans la plaine. Mais en 1589, il rentre en grâce avec le roi, fatigué de la Ligue, et dut combattre encore, mais, cette fois, au nom de son souverain, Antoine-Scipion, nouveau duc de Joyeuse, qui s’était avancé dans le Lauragais et avait brulé Auriac (1591). Nommé bientôt connétable par Henri IV, il rentra auprès de lui et laissa Anne de Levis, duc de Ventadour, comme son lieutenant en Languedoc.
Les fidèles venaient à Loubens qui était resté catholique passant alors de 200 à 1 200. L’église de Loubens avait été ravagée par les Huguenots lors du passage du prêtre Mousseron en 1596. Nos Auriol précisent dans tous leurs testaments leur attachement à l’église catholique, apostolique, romaine, ce qui nous laisse penser qu’ils n’ont jamais été du côté de la Réforme.
Seconde période : 1621 à 1632
Une nouvelle guerre de religion dans laquelle les réformés s’étaient donnés pour chefs Soubise et Rohan venait d’éclater (1621). Le Midi, toujours ardent à la révolte avait été le premier à se soulever. Puylaurens, Revel et Sorèze prirent les armes et les catholiques eurent beaucoup à souffrir. L’église même de Revel fut détruite par ordre du duc de Rohan.
Le roi Louis XIII, qui voulait en finir vite, arriva bientôt à Toulouse. De là, il fit replier son armée sur Castelnaudary sous les ordres de Praslin et Bassompierre, qui, en passant, soumirent Caraman, Cuq et le Mas-Saintes-Puelles. La guerre ne tarda pas trop à être terminée par la prise de Montpellier où les Calvinistes durent accepter la paix. Et Montluc, comte de Caraman reçut la mission de faire exécuter les clauses du traité concernant la démolition des places restées entre les mains des protestants.
En 1625, au moment le plus imprévu, les Réformés se soulevèrent à nouveau et le duc de Rohan occupe le Lauragais jusqu’à Castres. Mais les villes du pays demeurèrent quelques temps fidèles au roi.… Rohan se vit bientôt abandonné généralement et il fut contraint d’accepter la paix.… Mais après avoir fait mine d’accepter la paix, le duc de Rohan fomenta de nouvelles intrigues. Il s’avança dans le Lauragais et put entrer dans Revel, où il avait conservé des intelligences (octobre 1627).… Le 3 novembre eut lieu un combat très vif sur les bords du Fresquel, mais Rohan put continuer sa marche sur Mazères qu’il allait bientôt quitter pour rentrer à Castres.… Cependant Louis XIII, de plus en plus animé contre les protestants, vint se mettre à la tête de l’armée, et, dans peu de temps, la Languedoc fit sa soumission, ainsi que le duc de Rohan, qui cette fois, devait rester fidèle.
La guerre de religion à peine terminée, une guerre civile éclata, tout aussi regrettable, qui allait avoir son dénouement à peu de distance de Saint-Félix.
En 1632, Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII, se révolta à main armée contre le roi et Montmorency eut le malheur de se laisser entrainer dans son parti.
Le maréchal de Schomberg marcha contre eux et fit camper son armée dans la plaine de Revel, tandis qu’ils avançaient à sa rencontre par Castelnaudary.
La suite se passe d’abord à Castelnaudary ou Montmorency est capturé à la suite d’un combat très bref, puis à Toulouse où il est exécuté. La plaque posée au sol à l’arrière de la mairie de Toulouse en précise l’endroit. Enfant, sa lecture m’enchantait et m’emmenait au loin avec ce duc supplicié pour je ne savais qu’elle raison.
Un malheur ne venant jamais seul, la peste continuait de ravager le Lauragais, trois épidémies en 1628, 1629 et 1630 décimèrent les populations.
Histoire de Saint-Félix
Les dragonnades qui eurent lieu dans le Lauragais concomitamment à la Révocation de l’Edit de Nantes en 1685 sont aujourd’hui encore peu connues. Moins violentes que les dragonnades subies par le Poitou en 1681, elles n’ont pas autant marqué la mémoire collective. Pourtant, le pouvoir royal usa également de la force armée dans notre région afin de contraindre la population calviniste à abjurer sa foi. Avant d’évoquer cette période de troubles, nous évoquerons les premiers pas de la Réforme dans notre région et suivrons son évolution. Puis dans un deuxième temps, nous verrons comment la monarchie a décidé par petites touches successives de réduire peu à peu l’influence protestante dans le royaume. Enfin, nous évoquerons les dragonnades dans notre région et verrons quelles furent les conséquences pour les populations huguenotes lauragaises et comment elles réagirent à l’envoi des troupes du roi dans leurs villes.
L’évolution du protestantisme
Les idées des grands penseurs de la Réforme furent diffusées en France dès le règne de François 1er. Le Lauragais et une partie de ses habitants montra rapidement un certain intérêt pour ce nouveau courant religieux puisque on trouve des familles consulaires protestantes dès 1534. Mais ce n’est que véritablement une trentaine d’années plus tard que la pensée calviniste va véritablement s’installer dans notre région avec l’envoi de prédicants depuis la ville de Genève, haut lieu du calvinisme en Europe.
Dès 1562, les habitants de Puylaurens purent assister au prêche d’un pasteur dans l’église principale de la ville transformée en temple. Revel fut rapidement considérée par ses contemporains comme l’une des communautés des plus importantes en Lauragais tandis que Caraman vit sa population acquise à la foi calviniste et se réunir hors des murailles de la ville à la même époque. Ces événements coïncident avec la promulgation le 17 janvier 1562 de l’édit de Saint-Germain à la demande de la reine Catherine de Médicis, veuve du roi Henri II, qui espérait ainsi calmer les humeurs belliqueuses des partis catholiques et protestants. Mais ce fragile équilibre fut rapidement remis en cause par le massacre de Wassy perpétré par le duc de Guise. Le royaume de France entra alors dans une de ses périodes les plus noires plus connue sous le nom de guerres de religion. Le Lauragais fut lui aussi le théâtre d’affrontements violents entre Catholiques et Protestants. Les populations locales ne furent pas épargnées par les soldats des deux partis.
Les massacres de la saint Barthélémy qui débutèrent le 24 août 1572 et se propagèrent dans tout le royaume atteignant la région de Toulouse quelques mois plus tard pour s’achever à Gaillac le 5 octobre de la même année restent encore aujourd’hui un témoignage fort de la violence et de la haine qui habitaient les deux partis. Les conflits armés se poursuivirent sporadiquement jusqu’à la proclamation par le roi Henri IV de l’Edit de Nantes en avril 1598. Par cet édit, les protestants eurent enfin la possibilité de vivre leur foi au grand jour. Une nouvelle ère commença pour le royaume de France.
L’exception française était déjà de mise puisque le pouvoir royal français était le seul d’Europe à accepter la coexistence de deux religions distinctes sur son territoire. Jusqu’au décès du roi Henri IV, l’édit de Nantes fut convenablement appliqué. La mort de ce dernier plongea le parti protestant dans l’angoisse d’un revirement de la part du nouveau pouvoir royal. Mais sa veuve, la régente Marie de Médicis, confirma l’Edit. Le règne de Louis XIII fut le témoin de nombreux conflits ouverts entre le pouvoir royal et le parti protestant dont le duc de Rohan prit la tête. La paix d’Alès de 1622 qui devait mettre fin au conflit en confirmant l’Edit de Nantes n’empêcha pas la lutte armée de reprendre peu de temps après sous le commandement de Soubise, frère de Rohan, sur les côtes bretonnes et poitevines. La réaction royale ne se fit pas attendre et il fut décidé de faire le siège de la ville portuaire huguenote de La Rochelle. À la fin de l’année 1628, La Rochelle capitula. L’année suivante l‘Edit de Grâce d’Alès accorda une amnistie générale confirmant les clauses juridiques et religieuses de l’Edit de Nantes. Mais ce nouvel édit revenait sur les clauses politiques et militaires. Le parti protestant n’était plus. Plus que jamais, l’existence des églises réformées de France reposaient entre les mains d’un seul homme ; le roi de France.
L’ère des tracasseries ou comment le pouvoir royal entend neutraliser le parti protestant
À la mort de Richelieu, Mazarin remplaça le cardinal auprès de Louis XIII. Tout comme son mentor, celui-ci se méfiant des protestants, misa rapidement sur une politique de tracasseries anti-calvinistes. La population huguenote du royaume fut mise sous haute surveillance comme le prouve ce rappel à l’ordre dont firent les frais la communauté calviniste de Caraman en 1658. Il leur est rappelé à cette occasion par l’administration royale que toutes les décisions émises par la communauté en général doivent être prises à part égale de catholiques et de protestants lors des conseils politiques de la ville selon le principe des consulats mi-partis. Un autre exemple de cette politique de tracasseries fut, par exemple, le déplacement de la faculté de théologie de l’académie de Montauban dans la ville de Puylaurens (1660) sur ordre du roi. En 1685, lors de la révocation de l’édit de Nantes, elle s’y trouvait encore. Puylaurens était alors un centre intellectuel très important. Malgré tout, catholiques et protestants ont peu à peu appris à vivre en harmonie. Les querelles de religion ne donnent plus lieu à des conflits armés. Le royaume de France sur ce point connaît une période paisible. À la mort du cardinal Mazarin, en 1661, le jeune roi Louis XIV décida contre toute attente de gouverner seul le royaume de France. Cette décision royale n’inquiéta pas outre mesure les protestants français. En effet, lors de la Fronde, ils ont été particulièrement loyaux au roi alors enfant. D’ailleurs, les protestants de Caraman n’avaient-ils pas reçu quelques années auparavant une lettre du roi les remerciant de leur non-participation à la Fronde et les maintenant dans les privilèges accordés par l’Edit de Nantes ? Les huguenots du royaume avaient une confiance illimitée dans leur roi et ne se doutaient pas de ce que celui-ci aller leur réserver dans les mois et les années à venir…
1661-1685 : la montée de la répression anti-calviniste
Rapidement, Louis XIV décida d’affirmer sa volonté de faire reculer l’hérésie en son royaume. Il ne s’agit à l’époque que de limiter l’influence calviniste dans le royaume et non encore comme nous le verrons plus tard d’effacer toute trace de celle-ci. Il commença donc par faire appliquer à la « rigueur » les différents articles de l’édit de son grand-père. Ainsi de 1661 à 1679, pas moins de douze actes de portées générales contre les protestants virent le jour. Ils n’autorisaient par exemple le culte protestant que dans des lieux où il avait déjà cours avant la proclamation de l’édit. Ces premières mesures ne furent dictées au roi ni par haine ni par fanatisme. Le roi était ennuyé de voir deux religions coexister dans son royaume. Il faut bien noter qu’au xviie siècle, la tolérance était jugée comme un facteur de dissolution sociale. L’unité religieuse était au contraire vue comme le ciment indispensable à toute communauté nationale. Pour l’Europe chrétienne de l’époque, seul l’adage « à chaque pays sa religion » était acceptable. Déjà au xvie siècle, Guillaume Postel, érudit de la Renaissance et protégé de François 1er, affirmait « Une foi, une loi, un roi ». En Europe, les minorités religieuses étaient mal vues. Les catholiques subissaient des persécutions dans les Provinces Unies. En 1678, en Angleterre, l’opinion et le Parlement furent informés par des provocateurs d’un complot jésuite et papiste. Cela donna lieu à une véritable chasse aux sorcières. Les catholiques furent ainsi bannis du Parlement. Louis XIV était donc le seul roi de son temps à être à la tête d’un royaume où le dualisme religieux était accepté.
L’arrogance de la haute société protestante était aussi un facteur d’agacement pour le roi sans parler de l’inquiétude qui animait le pouvoir face à l’organisation ecclésiale protestante. Les paroisses s’autogéraient et les organes délibératifs étaient particulièrement nombreux (consistoire, colloques de pasteurs et d’anciens, synodes provinciaux et nationaux). Ces différents éléments étaient en totale dissonance avec le système pyramidal et hiérarchisé de la société française de l’époque. De plus, l’enfance chaotique de Louis XIV pendant les évènements de la Fonde marquèrent à jamais le monarque qui vécut tout au long de sa vie dans la crainte de nouveaux soulèvements. Le roi opta donc pour la mise en place progressive d’une politique antiprotestante basée sur quatre grandes étapes :
la propagande avec l’envoi de prêtres catholiques ayant pour mission de convertir les populations acquises à la Réforme
la séduction avec la mise en place de la caisse de conversion de Paul Pélisson. Pendant neuf ans, relayé à travers tout le royaume par des employés à sa solde, il va tenter d’acheter des conversions. Il transmettra des résultats plus qu’encourageant au roi. Mais son idée se révélera rapidement inefficace. Certains attirés par l’appât du gain iront jusqu’à renier leur foi dix fois. Dans les gros bourgs protestants du Lauragais, cette méthode ne remporta pas un franc succès comme ce fut le cas dans des lieux plus isolés et à moindre concentration huguenote.
la récession coïncida avec le retour à la religion du roi. En effet, dès 1679, on nota un changement dans le comportement du roi qui renoua avec une pratique religieuse plus intense. Ce fut cette même année que le roi décida la fermeture définitive des chambres mi-partie en décidant de les incorporer dans les Parlements les plus proches. L’année suivante, les mesures antiprotestantes augmentaient crescendo. Tous les moyens étaient bons pour saper le pouvoir huguenot. En voici quelques exemples : interdiction aux catholiques de devenir protestants, conversion des enfants autorisée dès l’âge de sept ans, interdiction des mariages mixtes, pression sur les mourants, destruction des temples trop proches de lieux catholiques, interdiction de métiers ( sage-femme, apothicaire, chirurgien, médecin, huissier, notaire, avoué, interprète, horloger municipal, libraire, épicier, drapier, lingère…), interdiction d’avoir des domestiques catholiques, interdiction de siéger dans les corps savants. Ces mesures eurent des répercussions non négligeables pour la population calviniste lauragaise. La majorité des métiers de robe des villes de Puylaurens, Revel et Caraman étaient occupés par des huguenots depuis plusieurs générations. La communauté protestante de Caraman eut à subir dans le même temps un nouvel affront lorsqu’elle se vit retirer le droit de siéger aux réunions consulaires. Bien qu’entrés en résistance, ils durent s’incliner face à la volonté royale et payer une amende non négligeable pour non-respect des décisions royales. Malgré tous ces évènements, les protestants français dans leur grande majorité restaient persuadés que le roi était mal conseillé et continuaient à voir en lui « un arbitre et un redresseur de torts ». Pourtant la volonté royale restait inflexible et les fiefs protestants du Lauragais devront plier les uns après les autres. La démolition des temples de Caraman (1682) après une bataille juridique acharnée et de Puylaurens (1684) dont les pierres servirent à la reconstruction de l’église catholique montre à quel point le pouvoir protestant était à présent inexistant. Suite à ces démolitions, les différentes communautés devront se rendre à Cuq-Toulza ou Revel, dernier bastion calviniste en Lauragais.
la contrainte sous la forme d’une répression armée plutôt violente et communément appelée : dragonnade
L’étau se resserrait peu à peu autour des communautés protestantes. Mais, elles ne pouvaient toujours pas se résoudre à croire et à admettre que le roi souhaitait leur perte. Elles le pensaient mal conseillé et mal entouré. Elles avaient tout à la fois tort et raison. Le roi était en effet décidé à en finir avec cette hérésie, surtout que les intendants voyant leur intérêt dans cette affaire, faisaient des rapports de plus en plus positifs concernant le nombre de conversions. Désinformé, le roi pensait qu’il était grand temps de donner le coup final. De plus au sommet de sa gloire, il ne craignait plus le courroux des princes protestants européens, comme en 1681 lors des premières dragonnades en Poitou. Les dragonnades du Poitou avaient été ordonnées par l’intendant de Poitiers René de Marillac. Observant que la manière douce ne fonctionnait qu’à moitié, il décida rapidement de mettre en place des missions bottées. Il obtint de Louvois une ordonnance exemptant les Nouveaux Convertis de logement des gens de guerre. Pour Versailles, le logement des soldats chez l’habitant était une contrainte lourde et fâcheuse, mais n’apparaissait pas comme un fléau sinistre et terrifiant. Marillac afin de contraindre encore plus rapidement les protestants à abjurer décida de loger uniquement ses soldats chez des huguenots. Deux émissaires protestants reçus à la cour recevront la vague promesse de réprimandes à l’encontre de l’intendant. Mais celui-ci n’en tenant pas compte continua son action militaire. Il affirma au roi avoir obtenu en un peu plus d’un an 30 000 conversions soit 1/3 des protestants du Poitou. De plus, les soldats se sentant encouragés par leur hiérarchie se comportaient comme des soudards. Les gazettes européennes se firent l’écho de ces missions bottées et donnèrent de nombreux détails sur la manière dont les soldats se comportaient vis à vis des populations. Devant l’émoi suscité dans les cours européennes d’Angleterre, du Danemark ou encore à Amsterdam, le roi se trouva dans l’obligation de réagir. Il décida donc de remplacer Marillac par son cousin Lamoignon de Basville. Cet épisode fera le tour du royaume de France et il permet de mieux appréhender les réactions des protestants du Lauragais lorsque les soldats se présenteront à leurs portes.
Lorsqu’en 1685 débutèrent les dragonnades générales, Louis XIV n’avait plus à s’inquiéter de la réaction de ses voisins européens. De plus, les rapports des intendants des différentes provinces faisaient état de conversions nombreuses, sérieuses et légitimes. Le roi pensait alors que l’envoi des troupes n’était au fond que la formalisation d’un état de fait et ne concernait qu’une infime partie de la population du royaume. Le Poitou sera une nouvelle fois la première région de France à accueillir les soldats. L’armée avait pour consigne de faire un travail propre sans rapine ni désordre. L’intendant du Béarn, Nicolas Joseph Foucault ne désirait pas être en reste. Il décida lui aussi d’utiliser les troupes. Il inventera même une nouvelle technique : la technique des conversions par délibération publique. Le principe était le suivant. Il arrivait dans la ville concernée, accompagné de soldats et d’un évêque ou de son représentant. Il réunissait dans la salle commune ou sur la place publique les protestants de la cité. Pendant plusieurs heures, il tenait des discours tantôt cajoleurs tantôt menaçants. Si cela ne suffisait pas à convaincre les plus réfractaires, il logeait les troupes chez l’habitant.
Dans la province du Languedoc, dont dépendait le Lauragais, l’intendant Henri d’Aguesseau fut rapidement jugé trop mou car opposé aux méthodes brutales et remplacé par Nicolas Lamoignon de Basville plus austère et inflexible. Ainsi, les cités protestantes lauragaises virent arriver les soldats. Leur progression en pays Lauragais coïncida avec la promulgation de l’édit de Fontainebleau révoquant l’édit de Nantes. Le 17 octobre 1685, Louis XIV promulgua l’Edit de Fontainebleau révoquant ainsi à titre définitif l’édit de son aïeul, Henri IV. Pour lui, le doute n’était plus possible. Les rapports des intendants que plus rien n’arrêtait pas même Louvois inquiet des débordements de certains soldats faisaient état d’une victoire totale face à l’hérésie.
La première commune à recevoir le régiment de Koenigsmark fut Puylaurens. Quarante-deux personnes abjurèrent dans le mois. Elles furent suivies de 1699 à 1719 d’une quarantaine d’abjurations supplémentaires. Beaucoup choisirent la route de l’exil. Pour ceux qui restèrent, il semblerait que ces abjurations ne fussent que de façade. Le 15 octobre, ce fut au tour de Revel. Nombreux furent ceux qui décidèrent d’abjurer rapidement afin d’éviter le logement des troupes, tandis que d’autres tenteront à leur tour de fuir et de trouver refuge dans des royaumes ou cités réformés. En représailles, il fut décidé de loger des soldats chez les fuyards. Caraman fut la dernière à recevoir les troupes. Après une dernière conciliation infructueuse du clergé, l’intendant décida l’envoi des troupes. À peine les soldats arrivés, les protestants abjurèrent. Une dizaine d’entre eux décidèrent malgré tout de prendre la fuite et de tenter de rejoindre la Suisse.
Les dragonnades qui eurent lieu dans le Lauragais furent très éprouvantes pour les populations calvinistes. L’arrivée des soldats précédés de leur sombre réputation explique grandement ce mouvement collectif d’abjurations. La population protestante lauragaise était pour une grande part composée de nobles, de bourgeois, de commerçants, d’artisans et d’hommes de robe. La majorité d’entre eux ne pouvaient se permettre d’abandonner leurs biens aux mains des soldats qui avaient toute latitude pour piller leurs demeures. De plus, leur situation géographique à l’inverse des Cévennes n’était pas propice à une fuite vers des contrées plus accueillantes. Certains des fuyards revinrent d’eux-mêmes dans leur famille et abjurèrent à leur tour. Bien qu’officiellement, il n’y ait plus de protestants en France, le pouvoir continua à surveiller les anciennes communautés calvinistes. Cette surveillance porta ses fruits puisque en 1686, une Bible en langue française fut saisie dans une maison de Caraman. La même année, les huguenots revélois se réunissaient dans une maison possédant deux sorties afin d’échapper plus aisément aux soldats. Tout écart était sanctionné par des amendes, l’emprisonnement pour les femmes et les galères pour les hommes.
Malgré cette pression constante des autorités royales, la résistance s’organisait. Des réunions secrètes se tenaient à l’écart des villes et à partir de 1744, un registre du Désert attestait des baptêmes et des mariages. À l’inverse des Cévennes, par exemple, le travail de sape de l’Etat a plutôt bien fonctionné et même si, à partir de 1715, la surveillance se relâche en Haut Languedoc, les communautés protestantes se réduisaient peu à peu. Seules les familles les plus riches résistèrent. Lorsque l’Edit de Tolérance est proclamé en 1787, la petite bourgeoisie, les artisans et les commerçants étaient encore moins nombreux. La Révocation de 1685 avait donné naissance à une sur sélection dans une communauté où les populations les plus pauvres étaient déjà quasi absentes. Enfin, certains convertis ne sont pas retournés vers la religion de leurs pères. Catholiques par force et non par choix donc peu convaincus, ils renforceront les éléments républicains avant et pendant la Révolution.
Comme le souligne si justement E. Le Roy Ladurie en évoquant la Révocation de l’édit de Nantes « en révoquant l’Edit de Nantes et en confortant l’union du trône et de l’autel, l’Etat royal s’est en quelque sorte inoculé lui-même « des germes mortels ».
Nadège Mengaud (2008) Bulletin de l’association de la recherche Baziégeoise, N° 19